A-t-on encore besoin des journalistes ?
Aujourd'hui, toute personne possédant un smartphone, une connexion internet et une opinion, peut pratique le journalisme. Métier en perpétuelle mutation, sa prochaine forme sera-t-elle désincarnée ?
Avec le développement du web et des réseaux sociaux, le citoyen est devenu proactif dans le traitement de l’information. Internet est ainsi devenu le lieu de prédilection d’un débat sur une profession aujourd’hui en crise : le journalisme. Avec la démocratisation de l’écriture publique, le journaliste n’est plus le seul historien du présent.
Avec le développement du web et des réseaux sociaux, le citoyen est devenu proactif dans le traitement de l’information. Internet est ainsi devenu le lieu de prédilection d’un débat sur une profession aujourd’hui en crise : le journalisme. Avec la démocratisation de l’écriture publique, le journaliste n’est plus le seul historien du présent.
La participation citoyenne n'est en aucun cas une pratique inédite.
Campagne publicitaire de CNN « Devenez Citoyen Reporter », Bombay, Inde (2011) |
La participation citoyenne n’est en aucun cas
une pratique inédite. De la Révolution française à la chute
des Tours Jumelles, il s’est
toujours trouvé des gens pour
relayer l’information en dehors
de tout circuit médiatique. Témoins des faits marquants de
leur époque, ils les relataient sur
la place publique ou dans des
chroniques, qu’on retrouverait
parfois dans les pages d’une
gazette. Sans aucune affiliation
au monde de la presse, ils vont
pourtant donner naissance au
mythe du « journalisme citoyen ».
À l’époque du village global, le
web participatif rend l’interaction instantanée et obligatoire. Les frontières traditionnelles
entre sources, médias et public s’estompent. Ainsi se ranime l’imaginaire d’une communication « désintermédiée »,
comme aux premiers temps
du « journalisme participatif ».
Tout ceci change non seulement
les modes de consommation
de l’information, mais également ceux de sa production.
C’est ce qui donne une nouvelle dimension à la contribution citoyenne actuelle. Malgré
l’ancienneté du phénomène, on
peut donc parler d’une innovation dans le journalisme; autant
dans sa pratique que dans la
façon dont il est perçu publiquement : le statut devient secondaire par rapport à la fonction.
À en croire les partisans du
« citienzen journalism », la tendance actuelle serait née d’un
manquement au devoir de la part
des médias. Suite à l’industrialisation excessive du secteur, le «
quatrième pouvoir » aurait trahi
le peuple. Les blogs et autres
manifestations citoyennes sont
dès lors conçus comme une
forme de résistance, voire même
de renaissance, pour un retour
aux sources démocratiques :
il s’agit d’échapper à la tyrannie éditoriale du corporatisme.
De nombreux chercheurs se
sont penchés sur cette problématique. Parmi eux, l’analyste
français Éric Scherer. Spécialiste incontournable des médias,
il est actuellement directeur de la
stratégie numérique du groupe France Télévisions. Il est également l’auteur de l’essai A-t-on
encore besoin des journalistes
? Manifeste pour un journalisme
augmenté, dans lequel il étudie
les conséquences de la Révolution 2.0 sur la pratique journalistique. Interrogé sur le sujet, il
affirme qu’il est trop tôt pour se
prononcer sur les répercussions
sur long terme - si long terme il y a.
« L’information est devenue une denrée banale, comme l’air
que nous respirons. »
Mais qu’en est-il des effets immédiats
? « L’information est devenue une
denrée banale, comme l’air que nous
respirons. »1 Au cours de la dernière
décennie, le nombre de nouvelles et
de chroniques publiées quotidienne-
ment par des amateurs s’est accru
de façon exponentielle par le biais
des réseaux sociaux, poussant ainsi
les médias traditionnels à la « veille
» - c’est-à-dire la surveillance permanente des sites et blogs les plus populaires, dans l’espoir d’une primeur
de seconde main. Pour autant, Éric
Scherer n’est pas pessimiste. Selon
lui, cela ne suffit pas à remettre en
question la légitimité du journaliste.
Le phénomène de création participative [de l’information] implique
certes que « chacun peut, n’importe
quand et n’importe où, publier en
étant repris des milliers de fois ».
Mais à l’heure actuelle, les producteurs d’information
amateurs ne font que
s’approprier le qualificatif de « journalistique
» en détournant les
techniques et le jargon.
« L’abondance remplace
la rareté » Et c’est là la principale préoccupation d’Éric
Scherer : la banalisation du journalisme citoyen « conduirait à négliger la question de la capacité des
profanes à produire, diffuser et s’approprier de l’information en dehors
des espaces labellisés (...) mais surtout, elle ne permettrait pas de saisir l’influence d’une représentation
mythifiée du public dans l’évolution
de la configuration journalistique. »
Éric Scherer opterait donc plutôt
pour une collaboration entre professionnels et amateurs, ou au
moins « entre experts et novices
», plaisante-t-il. Cette idée, partagée par beaucoup d’autres spécialistes, a d’ailleurs fait son chemin
avec plus ou moins de succès,
selon les domaines ou les pays.
Un secteur véritablement pris d’assaut par
le citoyen est le photojournalisme. De plus en plus de médias motivent
les gens à la participation journalistique
à travers des dispositifs d’interactivité. Il
s’agit de collecter et rapporter des images
d’événements notables ou susceptibles
d’être sujets d’actualité. Ce concept incarne l’initiative citoyenne publiquement
reconnue par les médias officiels. Des
plateformes de téléchargement sont mises
à disposition, et il est possible d’être en
contact avec les rédactions.
Le succès du journalisme citoyen dans
ce domaine particulier s’explique aisément : on court-circuite les professionnels en étant déjà présent sur place, à
l’aide d’une technologie tellement performante qu’elle confère une expertise quasi-immédiate à ses utilisateurs. Bien sûr, rien ne laisse présager à ce
jour que les autres pans du métier seront
aussi facilement supplantés, mais ce précédent joue indéniablement en défaveur
des reporters et journalistes traditionnels.
Si l’on peut contester que le journalisme citoyen puisse se dessiner comme
une réponse à la crise des médias traditionnels, son ampleur le rend impossible à ignorer. C’est pourquoi Éric
Scherer prône un « journalisme augmenté » et incite à la collaboration. Une
telle attitude permettrait de “séparer
le grain de l’ivraie”, ou du moins jugulerait les effets pernicieux d’une pratique qui dépasserait l’amateurisme
pour sombrer dans l’anti-professionnel.
La machine étant lancée, il s’agit maintenant, conclut Eric Scherer, « d’éviter une
confrontation dont les conséquences seraient néfastes pour les deux parties en
présence, et encore plus pour le public. »
1 A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste
pour un journalisme augmenté, Éric Scherer, p8.
Apolline Stockhem
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