Music Fund : la musique comme instrument de développement

Photo : https://musicfund.eu
Music Fund est une organisation à but non lucratif basée en Belgique. Elle a vu le jour en 2004 grâce à une synergie entre l'ONG Oxfam-Solidarité et l'ensemble de musique contemporaine ICTUS.[1] Au départ d’une collecte d'instruments de musique et de la formation de luthiers capables d'en assurer l'entretien, Music Fund active son principe-clé : « La musique est un instrument de développement ».[2]

Le projet humanitaire est d’abord de soutenir des écoles de musique situées dans des zones de conflit ou des pays en développement. Music Fund organise des collectes d'instruments en Europe et leur donne une nouvelle vie en s'attelant à leur restauration avant de les distribuer en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique centrale. « Elle fournit les instruments de musique là où ils n’arriveraient pas autrement. »[3]

Music Fund s'occupe aussi de la formation de techniciens-réparateurs d'instruments grâce à des ateliers d'initiation et de formation mis sur pied dans des écoles partenaires. Elle leur transmet ainsi le savoir-faire nécessaire pour réparer et entretenir les instruments de musique récoltés. Le transfert matériel est ainsi couplé à une transmission du savoir-faire.[4]

Après huit années d'activités, Music Fund a développé une méthode de coopération qui évolue encore en permanence. En 2010, l'association a reçu le prix Best Practice in Culture and Developpement de la Commission Européenne (DG Développement et coopération).[5]

La musique comme instrument pédagogique 

Music Fund s'est lancé un défi tout particulier : organiser, sous l'égide de l'ONU qui sécurise les opérations, un programme de formation à la musique comme outil pédagogique destiné aux institutrices et instituteurs du réseau UNWRA (la division des Nations-Unies en charge des réfugiés palestiniens) dans la bande de Gaza. Des enseignants européens emportent donc leurs savoirs musico-pédagogiques avec eux, dans le but de les partager avec les instituteurs et éducateurs des écoles à qui ils suggèrent des techniques d'introduction de la musique comme medium d'enseignement des matières traditionnelles (Arabe, mathématique, religion, Anglais...).

Ce projet a été initié à Gaza, ville où la situation est très difficile en raison du blocus israélien en vigueur depuis une dizaine d'années. « Seule une visite sur place peut rendre compte de ce que représente un blocus. Rien de tel que le passage d'une frontière désertée, no man's land surveillé par les seuls Drones, pour mesurer les effets d'une haine alimentée par l'histoire, mises aux mains de ceux qui y trouvent leur substance. Le contraste entre une Jérusalem grouillante, emplie de soldats en armes, et une bande de Gaza isolée, où les policiers sont rares et les soldats absents, est saisissant » [6]

Toutefois, si la population gazaoui se trouve enfermée entre les frontières de la bande côtière à cause du blocus, elle se révèle très ouverte et chaleureuse à toutes les initiatives extérieures et à tout invité lui montrant de l'intérêt, comme c'est le cas de Music Fund. À Gaza, les volontaires de l'association sont toujours stupéfaits d'une telle hospitalité.
  
Mis sur pied en partenariat avec le Qattan Centre for Educational Research and Development,[7] l'UNRWA,[8] la Ville de Dunkerque et l'Association franco-palestinienne Dunkerque-Gaza, et réunissant des membres de l’Université Charles de Gaulle Lille 3, du CFMI de Lille, du Conservatoire de musique de la Ville de Dunkerque (France) et du réseau d’écoles Steiner Waldorf, ce projet a pour la première fois été mis en œuvre du 20 octobre au 17 novembre 2013, donnant le coup d'envoi du programme officiel de l'UNRWA, « La musique comme instrument pédagogique ».[9]

Dans la région, le réseau d'écoles fondamentales ouvert en 1948 par l'UNRWA est aujourd'hui central dans l'éducation des enfants palestiniens. Music Fund est convaincue que c'est à ce niveau qu'il faut travailler pour participer à la reconstruction du pays. C’est dans cette ligne que l'association offre la possibilité aux enseignants des écoles primaires de l'UNWRA (enfants de 7 à 11 ans) de prendre part à un programme de formation à la musique, avec instruments et supports de cours mis à disposition par l'association.[10]

Les Gazaoui ont leur propre culture et leur propre musique, qu’ils apprécient beaucoup. Ils jouent chez eux et dans les rares endroits où ce n'est pas interdit par le Hamas. Malgré ces contraintes ainsi que d'autres obstacles (barrière des langues, différences de tradition et de culture), le désir d'introduire à l'intérieur du système éducatif une part de créativité, d'interactivité, voire d'esprit critique par la musique, est bien reçu par les éducateurs locaux.

Avant le lancement officiel du programme « La musique comme un instrument pédagogique », de nombreux voyages préparatoires ont été organisés dans la bande de Gaza. Les formateurs de Music Fund ont consolidé leur partenariat avec l'UNWRA, ont procédé à une série de visites de classes des différentes écoles du réseau dans le but de se familiariser avec le comportement des élèves, le système scolaire et les approches pédagogiques utilisées.

Lors de ces visites, l'équipe de Music Fund a décelé certaines particularités de l'enseignement : des classes de 30 à 40 enfants encouragés à crier leurs réponses, la plupart des professeurs utilisant leur voix à très haut volume et allant parfois jusqu'à crier pour donner cours, la répétition comme méthode d'apprentissage... « Dans ce système, 'the old way' comme ils l'appellent, récompenses, gratification et compétition sont très présents pour stimuler l'apprentissage. Le programme des écoles de l'UNRWA est basé sur un programme d'étude très structuré et très dense, avec des examens réguliers pour évaluer l'état des connaissances des élèves. »[11]

Dans tout cela, très peu de place et de temps pour introduire de la créativité ou des activités musicales, malgré le souhait des professeurs. Toutefois, certains utilisent déjà les chansons et les jeux dans leurs classes, mais dans un cadre très contrôlé.

« L'immersion dans ce réseau est un choc. Des enfants en uniforme, heureux d'être là, dans des rails sans aiguillage, basés sur les questions-réponses, la répétition, l'enthousiasme forcené. Une énergie gigantesque. Quelques enfants seulement, sur les 36-38 que comprennent les classes, en décrochage. Mais ils participent tout de même. Étude du milieu, mathématique, Arabe, religion, Anglais. De jeunes institutrices magnifiques d'énergie, adroites, maladroites, mais formées à une méthode éprouvée, bloquée cependant dans un mécanisme un peu sclérosé. »
Au printemps 2013, un programme pilote a été réalisé par la cheffe du programme, Colette Lucidarme. Elle a passé six semaines sur place afin d'établir les fondements des sessions de formation à venir. Les paramètres de bases de la musique (intensité, temps, ton, timbre...) ont été transmis au-travers d'ateliers qui ont ensuite abordé l'apprentissage de l’ukulélé et du solfège. Grâce à ce programme, Music Fund a pu identifier des besoins à développer lors des sessions d'apprentissage suivantes (travailler l'expression, faire des exercices d'échauffement, écouter de la musique et l'analyser, chercher différentes façons de trouver un lien entre la musique et des matières données aux enfants...)[13]

Dans un premier temps, le partenariat de Music Fund avec les écoles de l'UNRWA à Gaza est prévu pour trois ans. Dans chacune des zones sud, centre et nord de la bande de Gaza, une trentaine d'instituteurs sont choisis pour prendre part aux programme. Au total, une centaine d'enseignants pourront ainsi bénéficier de ces formations.

Lors de la première session de formation de 2013, un total de 60 enseignants des écoles de l'UNRWA ont participé aux deux sessions/semaine de formation (2h). Sept sessions ont été organisées. Au total ils ont bénéficié de 16 heures de formation. Quatre formateurs ont été désignés à la tête de ces ateliers d'initiation : Lucy Grauman, chanteuse et experte vocale, Hester Bolle, violonisteprofessionnelle et pédagogue, Julien Moyon et Jean-Christophe Gorisse, envoyés par la ville de Dunkerque, tous deux 'DUMIste'[14] et travaillant comme musiciens dans des écoles primaires en France, et enfin, la seule formatrice donnant cours sur place, Nancy Albhaisi. Bien que chaque formateur soit spécialisé dans un domaine spécifique, c'est ensemble qu'ils ont décidé de préparer le programme de façon à garantir des ateliers plus intégrés. « L'échange d'idées entre les formateurs était nécessaire pour créer un but commun et une orientation claire sur la manière de travailler dans ce contexte interculturel. »[15] Les quatre formateurs sont également tous présents à chaque session de cours : lorsqu'un des formateurs dirige le cours, les autres y assistent, observent, mais la plupart du temps y participent activement. Cela facilite aussi la division en petits groupes, notamment pour faire des exercices avec les différents instruments.

Un sentiment de groupe peut ainsi se créer entre formateurs et participants, ce que Music Fund estime très important : « Il est beaucoup plus utile de regarder les sessions comme un moment d'échange plutôt que comme une simple transmission dans un seul sens ».[16] À cette fin, beaucoup d'attention est accordée aux conversations de groupe pour connaître le ressenti des participants vis- à-vis du programme, ainsi que leurs propres idées pour mettre les compétences acquises en pratique.

En plus de l'importance du travail en groupe, Music Fund insiste aussi sur l'aspect personnel de l'apprentissage. Or, il est apparu après plusieurs sessions que ces approches personnelles basées sur l'expérience et la réflexion n'étaient pas du tout familières aux Gazaoui, ceux-ci ayant surtout l'habitude de mémoriser, de transférer ou de recevoir des informations très concrètes. Cette différence culturelle complexifie encore la mission de Music Fund.

Malgré les difficultés de la mission, les formateurs de Music Fund n'en restent pas moins motivés de partager leur savoir au-travers des différents ateliers proposés : exercices de révision des matières enseignées lors du programme-pilote (concepts musicaux transversaux et transculturels), exercices d'échauffement, de chant, d'écoute, d'instrument et de sound-painting.

Grâce à cette première période de formation, Music Fund a pu évaluer les besoins adaptés à l'enseignement de ces écoles et mettre sur pied un beau projet, mais celui-ci doit encore grandir et évoluer au fil des découvertes. L’association espère que chaque phase d'apprentissage pourra conduire à de nouvelles expériences, tant pour les formateurs que pour les participants. Pour que ce projet Musique et Développement conserve son équilibre, le dialogue paraît essentiel.



Apolline Stockhem



[1] Site officiel d'ICTUS, Contemporary Music Ensemble, Brussels, <http://www.ictus.be/>
[2] « Belgique / Music Fund », Futur21, <http://futur21.eu/project/belgique-music-fund>

[3] Ibidem.
[4] Ibidem.
[5] « Histoire », Site officiel de Music Fund, <http://musicfund.eu/>
[6] Stockhem, Michel « Revenir de Gaza, revenir à Gaza », 25 novembre 2012.
[7] Site officiel de AM Qattan Foundation, <http://www.qattanfoundation.org/en/home>
[8] Site officiel de l'UNWRA, <http://www.unrwa.org/>

[9] « UNWRA Schools, Gaza : Music as a pedagogical tool », Site officiel de Music Fund, <http://musicfund.eu/>
[10] Ibidem.
[11] Bolle, Hester, « Report on the teacher training program Music as a pedagogical tool, Gaza – October/November 2013 », 2013, p. 8.
[12] Stockhem, Michel, « Revenir de Gaza, revenir à Gaza », 25 novembre 2012.

[13] Bolle, Hester op. cit., p. 3-4.
[14] Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant.
[15] Bolle, Hester, op. cit., 2013, p. 3-5.
[16] Bolle, Hester, op. cit., 2013, p. 3-5.

Commentaires

Articles les plus consultés